J’avais entendu parler depuis longtemps de ces carnets de recettes de cuisine de Marguerite Duras… Un recueil édité mais épuisé, puis plus ou moins interdit pour cause de querelle entre les ayants droits, Jean Mascolo, son fils et Yann Andréa, le dernier homme de sa vie, parce que ce n’était pas pour Marguerite un écrit destiné à la publication, mais des textes privés… L’un voulant l’éditer et l’autre pas. En tout cas introuvable !
Et un jour, mon amie Élisabeth m’offre « La cuisine de Marguerite ». Je le dévore en un week-end, les souvenirs sont très précis, c’est un week-end où je joue « Les règles du savoir vivre dans la société moderne » chez un ami qui tient l’auberge du Canabal près de Lauzerte, chambres d’hôtes, salle de spectacle, un lieu où je me sens en vacances, même si je joue le soir! Et tout de suite, dans les heures qui suivent la lecture, tout est là, l’idée de combiner ces textes avec « la maison », ce texte de « La vie matérielle » que j’adore mais que je n’ai jamais pu intégrer aux lectures de « la vie matérielle » pour cause de longueur, l’idée de la scénographie, une cuisine, la cuisine de Marguerite et je dis ces textes aux gens en les regardant, ils sont avec moi, dans ma cuisine, ce lieu « où il fait chaud et où on reste avec la mère qui fait la cuisine tout en parlant » comme dit Marguerite, et tout en parlant aux gens, je prépare la soupe aux poireaux qu’ils mangeront à la fin de la représentation.
La suite, c’est du temps, un an et demi, ou deux, le temps de la mise en œuvre de ce qui était déjà là ce week-end-là, beaucoup d’énergie, l’énergie et la volonté de Jeanne qui est à mes côtés depuis le début de cette aventure, qui m’encourage et me soutient à chaque étape, qui a trouvé les moyens de réaliser ce que j’avais en tête, et l’énergie et la volonté de toute l’équipe du spectacle.
Muriel Benazéraf, qui a fait le très beau montage et découpage du texte, elle était là pour enlever les choses; en m’écoutant on aurait tout gardé et ça durait plus de deux heures… Je fais partie, comme dit Marguerite, de ces femmes qui ne savent pas jeter, c’est valable pour les choses matérielles de la maison, mais aussi pour un texte que j’aime quand il s’agit de le réduire…!
Venise, qui a réalisé notre belle affiche, Noémie, qui a réalisé le costume, Philippe qui a imaginé le décor, Frédo qui l’a construit avec les exigences draconienne qui nous lui avions données : je veux une cuisine avec de quoi faire cuire, un plan de travail, un évier et de l’eau qui coule, des éclairages autonomes, que ce soit beau, et que tout ça rentre dans ma petite voiture! Et il l’a fait, avec les moyens réduits dont il disposait, et on a du mal à croire que ça rentre dans ma voiture!
Le résultat, c’est, peut-être pour la première fois, un spectacle qui me ressemble vraiment, qui correspond complètement à ce que j’imaginais, qui s’est fait avec la même évidence qu’il est né dans mon esprit, et cette évidence se ressent dans le public chaque soir, il y a une espèce de complicité, de communion avec chaque personne du public, une intimité très forte, palpable dans le partage de ces textes de l’intime, qui parlent d’amour, des hommes, de cuisine, de la mère, de la maison, de la mort, de l’enfance…
