« La vengeance des Dieux cloue des milliers de vaisseaux, privés de vent, sur les plages grecques. La guerre de Troie aura-t-elle lieu ? Les soldats trépignent. Le grand devin Calchas informe alors le Roi des grecs, Agamemnon, que seul le sacrifice de sa fille Iphigénie permettra leur départ pour une victoire certaine. »
La seule réponse sensée eût été, bien sûr, que le Roi tournât nonchalamment le dos à Calchas avec un haussement d’épaules, et renonçât à pareille barbarie…
Mais non. Agamemnon choisit la tragédie, préfère l’orgueil, bascule dans l’absurdité chronique de notre humanité : Oui, il sacrifiera sa fille.
Nous sommes tous confrontés à nos crimes. Ne sommes-nous pas d’ailleurs tous meurtriers, tous assassins ? Nous sommes parfois même le bourreau de ceux qui nous aiment, que nous aimons.
Oh, bien sûr, il ne s’agit pas toujours, comme ici, de morts physiques (du moins, espérons-le) mais plutôt de ces morts discrètes que nous infligeons aux autres par des refus, des colères, des entêtements, choix mauvais ou nécessaires. Morts bien plus cruelles parfois, plus douloureuses, inguérissables même parce qu’elles laissent l’autre en vie.
Tuer sa fille pour avoir permission de tuer des milliers d’innocents, bêtise des hommes sombrant dans la folie de la guerre, explications toujours oiseuses pour justifier la violence, masculin s’imposant encore et toujours par la force, sans doute par peur ou suspicion de l’amour, de la tendresse jugée peu virile… Étrange inceste parabolique, lâche soumission à la fatalité, renoncement vil, abandon stérile à la croyance en des Dieux toujours absents mais vite interprétés, vite justifiés par des devins suspects… Tout se retrouve dans la langue sublimée du poète Racine. Et nous pleurons. Nous pleurons notre impuissance à changer les hommes, à déclarer la paix définitive, à devenir autre.
Même la représentation de ce cauchemar éveillé où nous tuons nos propres enfants, rien n’y fait.
Reste peut-être alors la parole d’une enfant, celle aussi d’une femme, d’une mère, Clytemnestre, celle d’un fiancé désespéré, Achille…
Reste peut-être encore notre petite voix intérieure que nous n’écouterons jamais assez parce qu’elle nous dit la vérité : la voix de l’amour, de la conscience et de la raison, la voix de la vie.